Une courte présentation de l'Opus 6 de Corelli:
"[...] Lorsque paraît en 1714 à Amsterdam, chez Estienne Roger, l’opus 6 de Corelli, Antonio Vivaldi a déjà publié chez le même éditeur son opus 3, L'Estro armonico, et sans doute également son opus 4, La Stravaganza. Il propose dans ces recueils le modèle nouveau du concerto vénitien: un mouvement lent dont le lyrisme est directement issu de l’opéra, encadré par deux mouvements vifs structurés par la réitération d’une ritournelle orchestrale selon un plan tonal explicite et favorisant l’essor de la virtuosité dans les solos. Ce moule commode trouvera un écho immédiat en Europe et conditionnera non seulement l’abondante production de concertos durant la période baroque mais aussi, dans leur principe sinon dans leur forme, les concertos classique et romantique fondés sur la confrontation du soliste à l’ensemble orchestral. Or il y a loin des recueils du jeune Vivaldi, avant-coureurs d’une impressionnante production de quelque cinq cents concertos, aux douze pièces proposées par Corelli dans son ultime opus, mis sous presse un an après la mort du compositeur.
Dans le cadre propice du palais romain du cardinal Ottoboni, dégagé des contingences qui forçaient alors les maîtres de chapelle et les compositeurs d'opéras à produire à une cadence infernale de la musique toujours nouvelle, Corelli prit le temps de réviser et de polir des concertos dont l’existence est attestée dès le début des années 1680. Leur publication en 1714 ne représente en fait qu’une étape dans une diffusion déjà largement amorcée par la circulation des manuscrits, du fait des nombreux élèves et admirateurs du maître romain. [...]"
Contrairement aux concertos de Vivaldi et d’Albinoni, qui appartiennent à l’univers de l'opéra vénitien, les concertos de Corelli sont à mettre en parallèle avec ses sonates en trio, publiées en quatre recueils de 1681 à 1694.
"[...] Typiquement italienne, la «sonata a tre» combine deux parties de violon égales et une basse continue dévolue à un violoncelle et un instrument réalisant les accords, orgue, clavecin ou théorbe.
Les concertos de l’opus 6 ne sont pas à considérer autrement qu’un élargissement de ce dispositif, à la suite des expérimentations de Stradella et des compositeurs de l’école bolonaise, dont Corelli était issu. Le titre est significatif: «Concerti grossi con duoi Violini e Violoncello di Concertino obligati e duoi aitri Violini, Viola e Basso di Concerto Grosso ad arbitrio, ehe si protranno radoppiare» (Concertos grossos pour deux violons et violoncelle dans le concertino obligé et deux autres violons, alto et basse dans le concerto grosso [ripieno] facultatif, que l’on peut doubler).
En principe, les concertos de l’opus 6, écrits à sept parties, sont donc idéalement joués par treize musiciens: deux violons et un violoncelle solos accompagnés par un clavier, auxquels s’ajoute le quatuor à cordes comprenant deux instrumentistes par partie, soutenu par un autre clavier. Mais les habitudes d'instrumentation à géométrie variable de l’époque, ici clairement sous-entendues par le titre, permettent de réduire cet ensemble à neuf (sans les doublures) et même à quatre (sans le ripieno, l'opposition entre soli et tutti étant remplacée par des contrastes de nuances, piano et forte).
En revanche, les doublures du ripieno semblent illimitées (Corelli dirigea chez la reine Christine de Suède un orchestre exceptionnel de cent cinquante musiciens) à condition de respecter un juste équilibre entre les parties. [...]"
A l’image des sonates - dont ils sont issus, les concertos de Corelli se divisent selon le lieu - au sens propre comme au sens figuré - auquel ils sont destinés: les huit premiers sont écrits pour l’église - «Concerto da chiesa»-, les quatre derniers pour la chambre- «concerto da camera», c’est-à-dire pour un concert et une circonstance moins solennelle que les cérémonies religieuses ou politiques qui requéraient un concerto du premier type.
"[...] En principe, une sonate ou un concerto da chiesa possède une introduction lente et use du style fugué dans au moins un de ses mouvements. La sonate ou le concerto da camera n’est autre qu’une suite de danses, généralement de forme binaire et précédées d’un prélude.
Ainsi, point de titre de danse dans les huit premiers concertos de Corelli, les diverses sections étant désignées par leur tempo; les mouvements introductifs sont lents ou possèdent une partie lente et l’on trouve dans chaque concerto - à l’exception du quatrième - un mouvement contrapuntique. Le huitième concerto, clos par la fameuse pastorale, est d’ailleurs explicitement écrit pour la nuit de Noël. A l’opposé, presque tous les mouvements des quatre derniers concertos portent des titres de danse et possèdent une structure binaire à reprises.
La distinction se justifie donc, mais elle mérite d’être pondérée. En effet, de nombreux mouvements rapides des concertos da chiesa sont des danses sans le titre (le finale du Concerto 4, par exemple, présente tous les traits d’une gavotte) ou portent au moins la marque des rythmes chorégraphiques [...]. En revanche, un mouvement lent sans rapport avec une danse répertoriée se glisse dans chacun des quatre concertos de chambre. [...]"